La page Albums contemporains étant destinée à vous faire découvrir des artistes contemporains que j'apprécie, je ne voulais pas la parasiter avec des albums qui ne rentrent pas dans cette catégorie. C'est pourquoi sur cette page, je vous propose quelques revues spéciales d'albums.
Tracklist: 1) Panopticom 2) The Court 3) Playing For Time 4) i/o 5) Four Kinds of Horses 6) Road to Joy 7) So Much 8) Olive Tree 9) Love Can Heal 10) This Is Home 11) And Still 12) Live and Let live
En décembre 2023, soit 21 ans depuis l'album Up, Peter Gabriel vient de sortir un nouvel album, i/o ! Et étant donné que Genesis (version Peter Gabriel) est mon groupe préféré, je ne résiste pas à l'envie de vous en parler. Autant le dire tout de suite, n'ayant jamais pu écouter Security, So, Us et Up sans faire la grimace, je ne m'attendais pas à grand-chose. Ceci dit, cet album aura été pour moi une bonne occasion de me replonger dans sa discographie solo, et notamment d'apprécier l'album Melt qui m'était un peu passé sous les radars.
Mais revenons donc à i/o. Même si l'album reste très mièvre avec des sonorités commerciales et autres clichés, c'est loin d'être un carnage complet, et j'étais même agréablement surpris à l'écoute de certains passages de l'album. Je précise également que si chacun des morceaux de l'album existe en deux versions, un Bright-Side Mix et un Dark-Side Mix, dans cette review, je ne m'attarderai pas sur les différences entre les deux mix, plaisir que je laisse aux fans inconditionnels.
Commençons par les points forts de l'album. Le premier c'est que Peter Gabriel sait encore comment composer une mélodie mémorable et maintenir un certain niveau de qualité et d'intérêt dans la composition. Les refrains de Panopticom, The Court ou I/O sont autant d'hymnes pop qui restent furieusement en tête au bout de quelques écoutes. Le second, c'est que du haut de ses 73 ans, la voix de Peter Gabriel est toujours aussi magnifique, et rappelle même d'anciens albums de Genesis.
Les points faibles de l'album ? Tout d'abord, le gros point noir au tableau ce sont pour moi les sections et choix d'orchestration stéréotypés qui viennent souvent gâcher un morceau qui aurait sinon été appréciable, la faute étant souvent due à des arrangements grandiloquents à coups de violons et nappes de synthétiseurs. À l'écoute de l'album, j'ai l'impression que Peter Gabriel avait pour objectif d'obtenir un son universel, spirituel, mais le résultat sonne pour moi comme étant souvent banal et parfois ridicule. Ce qui m'amène à un autre élément qui me laisse particulièrement perplexe : les paroles des chansons, qui elles aussi semblent avoir pour portée la transmission d'une sagesse universelle. Le problème c'est que tous ces éléments mis ensemble n'aboutissent finalement qu'à un gruau poussif et stéréotypé.
Au niveau des chansons, je les classe grossièrement en quatre catégories :
Et parmi ces quatre groupes, celui que je considère comme étant le vilain petit canard, c'est celui des chansons « cucul la praline »... Mais je vais vous expliquer tout cela en détail !
L'album s'ouvre avec Panopticom, sur un couplet plutôt sombre, un peu effrayant, un choix qui rappelle le titre Darkness qui ouvrait l'album précédent. Et je dois dire que cette piste est sans doute pour moi une des meilleures de l'album : j'apprécie le caractère anxiogène du couplet, la guitare acoustique dans les refrains, refrain d'ailleurs bien entraînant et la montée en intensité qui s'ensuit. Dans ces conditions même les râles “World Music„ qui ouvrent la piste et la parsèment sont appréciables. Bien sûr l'arrangement électronico-rock n'a rien d'exceptionnel, mais au moins sur ce morceau nous sommes épargnés par les violons et Peter n'en fait pas trois tonnes.
L'autre piste que je rattache à ce groupe de chansons « sombres » c'est Four Kind of Horses dans un tout autre registre (je pourrais également la classer dans la catégorie des chansons méditatives). Une chanson assez classique, mais avec tout de même un moment où la voix de Peter me marque particulièrement : la ligne This is how you travel / If you live to see the world explode
de la piste Four Kind of Horses que l'on dirait tout droit sortie de l'album The Lamb Lies Down on Broadway.
Dans ce groupe, je place les chansons pop, généralement bâties sur un motif rythmique, une formule standard chez Peter Gabriel. Comme par exemple la seconde piste de l'album, In The Court. Celle-ci illustre très bien le problème que j'ai avec l'orchestration de l'album : le couplet est correct, le refrain est mémorable, seulement voilà... à 01:35 démarre un pont cliché au possible à grands coups de violon et autres cuivres, avec le rythme le moins intéressant du monde (poum-chak poum-chak) et Peter qui fait à peine l'effort de chanter. Bref, cela sonne comme le typique pont bouche-trou, placé là parce que quelqu'un a décidé que ça ferait chic, et que l'on tente maladroitement de combler avec des arrangements. Ceci peut être contrasté avec la fin du morceau (démarrant avec un piano à partir de 02:52) que je trouve pour le coup particulièrement judicieuse.
Mais le représentant par excellence de ce groupe, c'est bien Road To Joy qui avec ses synthés facétieux et ses allures de tube pop, sonne comme le descendant spirituel de Sledgehammer et Steam.
Et finalement nous avons Olive Tree, assez sympathique avec son refrain joyeux marqué par des cuivres fédérateurs contrastant avec le couplet sombre. (Bon, un peu trop fédérateurs à mon goût, j'ai parfois l'impression d'être en train d'écouter un jingle d'émission télé.) Mais de nouveau je suis assez perplexe avec le potage sonique « à la Red Rain » débutant vers 04:15, ressemblance non seulement sonique mais également lyrique d'ailleurs (Water falls on me
vs. Red rain is pouring down / Pouring down all over me
).
Ah, les chansons mièvres... Alors oui, si vous êtes fans de The Book of Love vous allez probablement raffoler de ces chansons. Mais pour ma part c'est le Peter Gabriel que je déprécie le plus et il a tendance à générer chez moi des réflexes nauséeux plutôt que l'extase émotionnelle.
Passons donc à Playing For Time, LA ballade de l'album. Si j'y affectionne quelques lignes mélodiques (Down / I'm getting it down / Sorting it out
), globalement la chanson sonne pour moi comme une bande-son de Walt Disney avec un lieu commun d'orchestration pataude. Et si encore la piste s'arrêtait à 04:40, elle serait éventuellement tolérable mais malheureusement il reste une bonne minute trente d'abomination symphonique, le niveau zéro de la créativité à grand renfort de cordes. Et comme si ça ne suffisait pas, on en remet une bonne couche à 05:20. Suis-je en train d'écouter du Peter Gabriel, l'Eurovision ou bien une trame sonore « épique » quelconque d'une vidéo Youtube ?
Ce qui nous amène à la plage titulaire de l'album, i/o. Ici à part le piano répétitif des couplets, c'est surtout le refrain que je retiens car il colle furieusement dans ma mémoire. La chansons est également un bon exemple de ces paroles universalisantes qui me laissent perplexes : Stuff coming out, stuff going in / I'm just a part of everything
. Disons que pour un album ayant pris autant d'années à concevoir, je trouve cela un peu léger.
Tant que nous sommes dans les titres mièvres, on ne manquera pas de mentionner So Much, croisement quintessentiel entre Playing For Time et i/o : le paradis pour ceux qui connaissent la joie double d'apprécier à la fois la bande son du Roi Lion et les sons répétitifs de piano acoustique.
Pour ceux qui préfèrent quand le mielleux s'allie au rythmique, papy Peter a également tout prévu avec This Is Home. Chanson basée sur une progression harmonique particulièrement générique (B♭ B♭ A♭ / G♭ G♭ F), je relève également un accord particulièrement douteux joué vers 01:52. Sans doute la moins pire du lot, ma partie favorite étant l'outro où Peter chante Hein hein, hein hein, hein yeah !
.
Et bien sûr, j'ai gardé le meilleur pour la fin : Live and Let Live, morceau où enfin, Peter se décide à franchir sans complexes la frontière ténue séparant la musique de la muzak... Entre ce safari de couplets insipides qui cliquettent à vide, la bonne parole écohumaniste de Peter Gabriel, et l'outro qui sent bon le désodorisant pour toilettes multiculturelles, faites attention à ne pas passer à côté des Yeah, yeah, yeah !
de Peter Gabriel à 03:36, un moment d'une rare intensité de vibrante conviction dans toute l'histoire de la musique. (Allez pour changer, j'admets que la partie This is how it turns / ... / We belong to the burden until it's gone
n'est pas si mal que ça.)
Tout n'est heureusement pas perdu, puisqu'il nous reste encore deux chansons à examiner. Si le groupe de chansons précédent est à mes oreilles un complet échec de direction musicale, je pense en revanche que Love Can Heal et This Is Home sont bien plus intéressantes et réussies. Je trouve en effet que les paroles à « portée universelle » de Peter Gabriel fonctionnent bien mieux lorsqu'elles sont accompagnées de ces textures méditatives et spirituelles. Si c'est bien dans ce segment que Peter Gabriel souhaite se positionner, c'est selon moi ce type de style qu'il devrait explorer.
Sur Love Can Heal nous retrouvons un peu l'ambiance de San Jancinto avec ces bruits percussifs cristallins. Ils donnent au morceau une ambiance particulièrement diffuse et liquide, lui conférant cet aspect hors du temps et de l'espace. Un aspect qui me plaît considérablement est la beauté de la voix de Peter Gabriel, ce grain et cette fragilité palpables dans sa manière de chanter.
Sentiments que je partage également à propos de la chanson And Still. Ici, on notera également un moment très intéressant démarrant à 03:32 avec la partie parlée se poursuivant avec Peter Gabriel chantant Its place / its home / Its face / In the music
. Et cela sonne comme un tout autre Peter du rock progressif... j'ai nommé Peter Hammill ! La boucle est-elle bouclée ?
Score : 5 / 10 (Somewhat mediocre)
Peter Gabriel sait encore comment écrire des mélodies mémorables et sa voix est toujours aussi magnifique. Malheureusement l'orchestration poussive et les harmonisations stéréotypées gâchent l'expérience musicale. Il s'agit en conclusion d'un album très polarisé qualitativement : beaucoup d'idées musicales intéressantes côtoient des platitudes sonores.