Tracklist:1) Le Béquillard des Bois 2) Costard cravate 3) Bamboche et Patochon 4) Le Quatuor en détresse 5) Saturax 6) Chanson galipette 7) Tout Foufou 8) Soupape 9) Halléluya
Je me demande souvent pourquoi Gotainer est tant oublié aujourd'hui ? Est-ce parce que son œuvre est empreinte de saveur enfantine et potache et que cela n'est par conséquent pas de la musique qui mérite d'être « sérieusement » considérée ?
En ce qui me concerne, j'estime pourtant qu'il s'agit d'un des artistes les plus originaux et talentueux de la musique française. D'une part, la plume de Gotainer est incroyablement inventive et cultivée, utilisant avec brio des mots peu usités, chaque chanson racontant une histoire et généralement empreinte d'humour. (Seul bât qui blesse, comme beaucoup d'autres artistes du siècle précédent : certains textes à forte connotation sexuelle et stéréotypes féminins.) Et j'apprécie également beaucoup sa voix au registre plutôt aigu.
D'autre part, ses albums sont également très solides musicalement, avec des mélodies et des progressions créatives et variées qui transpirent l'amour de la musique. Et c'est ainsi que, piqué de curiosité pour cette étonnante culture musicale que je constatais dans les morceaux de Gotainer, j'ai découvert qu'aux manettes musicales se trouvait le guitariste Claude Engel. Un « requin des studios », comme le titre cette vidéo sur Youtube, ayant prêté sa guitare à de nombreux enregistrements d'artistes connus, et ayant composé la quasi-totalité des albums de Gotainer.
Claude apporte ainsi tantôt un son rock, tantôt acoutique dans ses compositions, tous deux des délices pour les guitaristes. Mais celui-ci nous livre surtout un superbe bagage musical progressif, ce qui n'est pas étonnant lorsque l'on se rappelle qu'il a été le premier guitariste du groupe Magma. Pour ceux intéressés par l'exploration des prémisses musicales des albums de Gotainer, l'album Fantasmagory de Claude Engel paru en 1976 est incontournable. Il permet d'ailleurs de constater que l'appétence d'Engel pour les jeux de mots était déjà bien présente antérieurement à sa collaboration avec Gotainer (Où est la gamelle ? / La gamelle à ca- ? / La gamelle à caramel d'Armel ?
, un exemple parmi d'autres du titre Fantasmagory).
Ne nous y trompons donc pas: ce qui crée la magie des albums de Gotainer, c'est bien la combinaison de ses paroles folles avec la musique d'Engel. Gotainer et Engel: un duo tout simplement décapant. En les écoutant, on a l'impression qu'ils avaient une totale liberté artistique qu'ils ont pu explorer à loisir, et faire ce dont ils avaient envie sans bride aucune pour notre plus grand plaisir. Je vous propose donc ici de revisiter leur second album: Contes de travioles paru en 1979.
Celui-ci débute par Le Béquillard des Bois, un titre bâti sur une pédale de Mi aigu à la guitare acoustique. D'emblée nous sommes frappés par les paroles d'une rare virtuosité concoctées par Gotainer, dont voici un extrait :
Il va de secousses en culbutes battu par ses sacoches C'est le bancal à l'état brut sa démarche est bancroche Il est l'animal à trois pattes, le béquillard des bois Celui qui claudique et qui boite par amour du guingois Devenu bossu quand il rit dessous sa houpelande L'extravagant homme des lubies se dandine dans la lande
L'accompagnement n'est pas en reste, avec la sublime guitare d'Engel truffée de riffs acoustiques qui débouche sur un pont instrumental mettant la contrebasse à l'honneur, pour une atmosphère bucolique qui sied admirablement bien au texte avec cette ligne de basse claudiquante. Le violon ainsi que les choeurs (Clip clop clipiti clip clop
) participent également à merveille.
Nous poursuivons dans une veine rock avec Costard Cravate, un des morceaux de Gotainer que j'affectionne tout particulièrement à chanter à tue-tête en m'accompagnant à la guitare. On notera ici particulièrement les interventions des différentes voix de Gotainer, un style qui lui est caractéristique.
Bomboche et Patachon nous raconte les péripéties de deux gaillards cherchant des aventures dans les bars. Nous sommes accueillis par une ballade pianistique, qui se transforme bientôt en ballade guitaristique ensoleillée par quelques frappes d'orgue avant d'atterir sur des riffs hard rock et mêmes quelques lignes lorgnant le style manouche. Le morceau alterne ainsi entre ces différentes sections jusqu'à conclure par des « gna-gna-gna-gnas » rock.
Gotainer a décidément une voix qui sied parfaitement au rock comme le montre Quator en Détresse. Que nous conte Gotainer cette fois ? L'histoire d'un quatuor de violoneux en manque de mélodie. Ce n'est pas heureusement pas le cas d'Engel et Gotainer qui livrent une fois de plus d'excellentes mélodies entre les couplets hard rock entrecoupés de violon et les refrains jingles. Malheureusement, après un petit interlude humoristique, la piste se transforme en parodie disco avec des paroles très douteuses (I want to put my quatuor in your lovely détresse / {...} / I want you toucher les fesses
), reprises par des chœurs féminins sampa-thiques... ce qui tire inutilement le morceau en longueur.
Malgré les efforts d'arrangements Engel sur Saturax (des influences Zappaïennes !?!), la formule hard rock commence à s'essoufler dans ce morceau que je trouve plus générique. Même le solo de fin sonne comme un pétard mouillé par rapport à ce que l'on attendrait du guitariste fou dépeint par le texte. Je zappe également souvent Soupape dont le concept de re-créer une atmosphère industrielle par des accords dissonants, un charleston imitant un bruit de vapeur ainsi que différents bruitages prend le dessus sur la musicalité.
Reste encore Galipette, court morceau qu'on tirait tout droit sorti de l'album Fantasmagory d'Engel. En l'écoutant, j'imagine aisément Gotainer qui serait dans un univers parallèle à la tête d'un groupe de rock progressif avec des textes plus sérieux... Mais retour à notre réalité, où Gotainer oblige, le morceau ne pouvait se terminer sans un Poil à la quéquette
final. Situation que l'on retrouve également sur Halléluya, morceau expérimental qui nous offre également de magnifiques moments mélodiques mais finit en tempête de jurons.
Il en est ainsi, et nous nous consolerons avec le génial Tout foufou: un riff mythique, une musique entraînante et des paroles qui ont du chien !
Score : 8 / 10
Derrière les facéties d'Engel et Gotainer, un album de deux génies de la musique.
Tracklist: 1) Viens 2) La Question 3) Même sous la pluie 4) Chanson d'O 5) Le Martien 6) Mer 7) Oui, je dis adieu 8) Doigts 9) La Maison 10) Si Mi Caballero 11) Bâti mon nid 12) Rêve
Françoise Hardy est décédée ce mardi 11 juin à 80 ans, et l'apprendre m'a rendu assez triste. Je voulais donc lui rendre hommage en vous parlant d'un de mes albums préférés. En effet, si le grand public connaît surtout de Françoise Hardy son premier succès, Tous les garçons et les filles, et les suivants (Comment te dire adieu, Message personnel), il existe dans sa discographie un véritable chef-d'œuvre que l'on n'entend pourtant jamais à la radio : l'album La Question. Album unique par son ambiance, non seulement dans le catalogue de la chanteuse mais également dans tout le paysage musical français, je le considère comme le sommet musical de la carrière de Françoise Hardy et également comme un des meilleurs albums de la chanson française. Et je ne me lasse jamais de l'écouter.
La particularité de l'album vient avant tout de la collaboration avec Tuca, une guitariste brésilienne, qui empreint l'album de cette saveur magique de bossa-nova. Pas de batterie ici, simplement la voix fabuleuse de Françoise, de la guitare, du piano, de la contrebasse et des arrangements de corde. Pour se rendre compte à quel point l'évolution musicale est saisissante, il suffit de comparer ces sonorités avec celles de l'album précédent, Soleil.
Ce n'est d'ailleurs pas la première ni la dernière fois que la chanteuse se retrouve associée à de la musique brésilienne. En effet suite à son passage au festival de la chanson populaire à Rio de Janeiro en 1968, on retrouve sur le premier album du groupe Os Mutantes une surprenante reprise du titre Le Premier Bonheur du Jour. Et sur les albums suivants de la chanteuse nous reconnaîtrons encore quelques références à ce style, comme par exemple sur le morceau Occupé de l'album J'écoute de la musique saoûle qui rappelle un peu le son de Rita Lee dans les années 80, ou encore la piste Bosse bossez bossa de l'album Gin Tonic, sans jamais toutefois retrouver le niveau de matûrité artistique atteint sur La Question.
Un autre plan sur lequel cet album change complètement la donne, c'est celui des paroles. Est-ce dû au retour du parolier Frank Gérald qui avait justement prêté sa plume à la chanson Le Premier Bonheur du Jour et qui signe ici quatre morceaux ? Ou bien est-ce la magie de l'habillage acoustique qui opére ? Quoi qu'il en soit, loin du caractère mièvre que l'on ressent généralement sur les autres albums, les textes sont ici particulièrement émouvants. Le fil rouge comme souvent chez Françoise est celui de la tristesse, du désespoir amoureux. En l'écoutant, on ne peut s'empêcher d'imaginer la souffrance émotionnelle qu'elle a vraisemblablement vécue dans sa relation avec Jacques Dutronc.
L'album s'ouvre avec Viens, et les premières paroles que l'on entend sont les suivantes: Viens / Viens au port comme un navire
. La mer semble cependant particulièrement houleuse dans ce morceau au caractère très agité où l'on entend des coups de tonnerre de guitare ainsi que des torrents de cordes. Au milieu de cette tempête, la voix de Françoise, divine tout simplement.
Nous louvoyons alors vers La Question, chanson éponyme de l'album, une ballade acoustique poignante au texte composé par la chanteuse. Sans nous en rendre compte nous sommes entraînés vers 01:05 dans un entracte brésilien, une perle de joie diluée parmi les larmes, qui se termine par les fredonnements délicats de Françoise et un piano qui marque la reprise.
Quant à la chanson Même sous la pluie, elle résume selon moi parfaitement l'atmosphère qu'exprime cet album : celle d'une journée grise et pluvieuse. J'ai l'impression que dessus la guitare joue la pluie, chaque note représentant une goutte, dans une symbiose entre paroles et musique. Il est d'ailleurs intéressant de constater à quel point le thème de l'eau occupe une place centrale au sein de l'album.
Chanson d'O ou chanson d'eau ? Un morceau entièrement vocalisé, presque expérimental qui confère à l'album son caractère si particulier. Tout comme Le martien d'ailleurs, dont le titre évocateur est immédiatement dépeint musicalement, et qui est parsemé de râles, de souffles et autres claquements de bouche.
Suivant le lit de la rivière musicale, la voici enfin: Mer. Une mer sombre, dense et troublée qui clôt la première partie de cet album. Encore une une fois aussi bien les paroles que l'interprétation de Françoise me laissent sans voix tant elles sont réussies.
Sur la deuxième face de l'album nous sommes accueillis par les deux autres textes écrits par Françoise, Oui, je dis adieu, et surtout Doigts, une berceuse d'une douceur infinie, qui a été mon coup de cœur dès la première écoute et que j'adore jouer à la guitare. Avec une durée de 01:46, c'est également la chanson la plus courte dans un album ne contenant d'ailleurs que des titres excédant rarement les 3 minutes.
Si La Maison est un peu plus standard mais que sa sonorité reste cohérente avec les autres pistes, nous nous en éloignons en revanche progressivement sur Bâti mon nid puis sur Rêve, unique morceau contenant de la batterie. Sur les quatre dernières chansons de l'album, le dernier moment fort est donc selon moi Si Mi Caballero qui sublime une fois de plus la technique vocale de Françoise Hardy.
Score : 9 / 10 (Immaculately ideal – Best album)
Un chef-d'œuvre unique de la chanson française. À écouter absolument.